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« Maman ? »
Une porte claquée avait réveillé la petite Marjorie. L’enfant se glissa hors de son lit. Il n’y avait pas de bruit dans la maison.
« Papa ! »
Son père répondait toujours quand elle l’appelait. Pourtant, il n’en fit rien. Elle sentit la peur l’envahir peu à peu. S’approchant de l’escalier, elle vit que tout était éteint en bas. Mais la porte de la chambre de ses parents étaient entr’ouverte et une faible lumière filtrait. Elle sourit, rassurée. Tandis qu’elle se dirigeait vers la pièce, la porte s’ouvrit en grand et elle sursauta devant la grande forme noire qu’elle n’avait jamais vue. Ladite forme tourna la tête vers elle et s’agenouilla à sa hauteur. C’était un homme grand et mince, avec d’immenses yeux brun.
« Je suis désolée, petite. Ça sera douloureux au début, mais plus le temps passera, plus tu apprendras à vivre avec, même si ça ne disparaitra jamais. Ne pense pas à te venger. Ça n’en vaut pas la peine. »
Sans plus de cérémonie, il se redressa, son long pardessus effleurant le visage de Marjorie, et descendit si vite que l’enfant crut qu’il glissait. Appelant à nouveau ses parents, elle pénétra dans la chambre et marcha dans de l’eau qui collait. Sa mère était allongée face contre terre, et son père gisait sur le lit. Elle réalisa que c’était du sang et non pas du l’eau…
Le hurlement ininterrompu réveilla Douglas et Rebecca. Leur petite fille avait fait un cauchemar. Elle en faisait souvent. Depuis qu’elle s’était perdue lors du carnaval. Il y avait du monde et Rebecca avait lâché la main de sa fille en étant bousculée. Marjorie n’avait jamais parlé de ce qu’elle avait durant les quatre heures où elle était seule. Elle refusait catégoriquement. Cela n’aurait guère inquiété ses parents, s’il n’y avait eu les cauchemars récurrents qui terrorisaient littéralement la fillette.
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Appuyée contre le cadre de la porte, Marjorie regarda sa mère. Elle ne voulait pas la réveiller. Elle souffrait bien assez. L’adolescente essuya une grosse larme qui roula sur sa joue rosée. Sa mère se mourrait. Elle s’était battue des mois, des années durant même. Pour elle, Marjorie. Pour qu’elle puisse avoir sa maman plus longtemps. Mais la maladie avait été la plus forte. La jeune fille s’occupait d’elle autant qu’elle le pouvait. Rebecca avait souhaité passer ses derniers jours chez elle, à la maison. Pas à l’hôpital, reliée à des machines bruyantes qui l’avaient toujours empêchée de dormir. Contrairement à sa fille, rassurée d’entendre les bips indiquant que sa mère vivait. C’était au contraire le silence qui empêchait Marjorie de dormir. Elle passait des nuits blanches à écouter la respiration de sa mère mourante. Son téléphone bippa et sa mère bougea légèrement. Marjorie recula pour lire son message dans le couloir. C’était Damian. Il devait lui proposer de sortir un peu ce soir là. Il le faisait tous les soirs. Pour essayer de lui changer un peu les idées. Mais elle disait non à chaque fois. Son petit ami était adorable, cependant elle se refusait à laisser sa mère. Sauf que ce soir là, ce n’était pas du tout ça. Il lui disait qu’il passerait la voir.
La soirée qu’ils passèrent fut agréable. Ils n’étaient que tous les trois. Douglas était à New York pour défendre l’un de ses clients dans un procès retentissant. Il se noyait dans le travail pour ne pas voir sa femme dépérir. Par moments, Marjorie en voulait à son père, même si elle comprenait parfaitement sa réaction. Sa mère ne s’en rendait pas toujours compte. La jeune fille remonta la couverture sur celle qui l’avait mise au monde. Ses traits décharnés, ses yeux entourés de cernes grisâtres lui arrachèrent un sanglot. Elle savait que sa mère n’en aurait plus pour très longtemps.
« Est-ce que tu veux que je reste cette nuit ? »
Elle sourit avec reconnaissance à Damian avant de secouer la tête. Lui expliquant que ce n’était pas la peine, qu’elle allait pouvoir gérer. Un pieux mensonge. Elle allait passer une énième nuit blanche à pleurer. Ce qu’il n’ignorait pas. Mais il était perdu et ne savait plus quoi faire pour la soulager. Il l’embrassa tendrement et quitta la maison, laissant Marjorie à ses sombres craintes.
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La fanfare jazz marchait au rythme de la musique et des chants que produisaient les musiciens. Derrière, une élégante mais noire calèche transportait, tirée par deux chevaux blancs, un cercueil recouvert de fleurs. Marjorie se blottit contre Damian, tandis qu’ils marchaient aux côtés de son père. Sa mère s’était éteinte deux jours plus tôt, à la fin de l’après midi, après avoir eu un regain de conscience. Marjorie et elle avaient longuement parlé, en se tenant la main, puis Douglas les avait rejointes. Et elle s’était paisiblement endormie, cessant enfin de souffrir.
Marjorie fit un dernier signe à Damian et referma la porte. Une musique qu’elle connaissait bien retentissait en fond. La jeune fille se dirigea vers le salon et vit son père misérablement assis sur le canapé, à regarder une vidéo. Rebecca et Marjorie qui dansaient sur « Wake me up, before you go-go ». Elles le faisaient souvent quand Marjorie était encore une enfant. Elle rejoignit son père et posa la tête sur son épaule. Aucun des deux ne réalisait encore…
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Marjorie referma le four du pied, déposant la quiche sur le plan de travail avec un sourire satisfait. L’ogre qui lui servait de mari n’en ferait qu’une bouchée mais au moins, il serait repu et ne râlerait pas parce qu’il avait faim. Non pas que ça la dérangeait tant que cela. Elle adorait Damian, et adorait cuisiner pour lui. Elle regarda machinalement par la fenêtre de sa cuisine et vit une voiture sombre s’engager dans l’allée. Fronçant les sourcils, elle sortit sur le palier. Deux hommes en uniforme quittèrent le véhicule. Deux autres voitures, portant les couleurs du New Orleans Fire Department, se garèrent derrière. Et elle sut. Que Damian ne reviendrait pas, que la quiche dont elle était si fière pourrirait ou finirait attaquée par les fourmis. Pourquoi s’en préoccupait elle dans un tel moment ? Elle sentit ses jambes l’abandonner et elle se retrouva assise par terre. Incapable de bouger. Il était parti et elle se retrouvait seule. Qu’avait elle donc fait de mal pour mériter ça ? Elle posa une main sur la petite croix en or blanc qu’elle portait autour du cou. Un cadeau de sa mère. Ce fut sans doute la seule raison qui l’empêcha de l’arracher violemment de son cou…
Une année presque entière s’était écoulée. Elle avait à la fois l’impression que c’était dix fois plus mais aussi que tout était arrivé la veille.
« Papa vient de te rejoindre. Il avait de très gros problèmes de santé et je ne le savais même pas. Il pensait vouloir me protéger. Et au final, il m’a laissée lui aussi. Il est avec maman et avec toi… »
Marjorie soupira. Assise en tailleur dans l’herbe, elle pleurait devant la tombe de son mari. Tout en lui parlant. Rares étaient ceux qui passaient près d’elle sans réagir. La jeune femme avait perdu toute foi. Pourquoi croire en un Dieu qui lui avait pris tous ceux qu’elle aimait si tendrement ? Sans parler du fait qu’elle perdait doucement la raison. Parfois, elle avait des flashes, des souvenirs. Bien trop nets, bien trop bruyants. Quelques fois, elle se rappelait effectivement du moment. Mais souvent, ce n’était pas le cas. Ça avait commencé à la mort de sa mère, et elle pensait que cela avait disparu. Jusqu'à maintenant. Désormais, elle n’osait plus qu’à peine toucher tout ce qui l’entourait. Mais toutes ces considérations avaient été rapidement balayées par Armageddon. Car qu’est ce que cela aurait pu être d’autre ? Elle s’en voulait d’avoir tant douté de Dieu, maintenant qu’il n’était sans doute plus. Plus rien ne la retenait à la Nouvelle Orléans, et elle avait fui un peu partout, pour finalement atterrir à Détroit. Dans un cas de réfugiés où elle se terrait dans son coin, évitant au maximum le moindre contact, même avec les êtres vivants.
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